EFFICACITÉ DES MÉTHODES DE REPEUPLEMENT


Louis Bernatchez
et Julian Dodson (U. Laval)


Ce projet vise à évaluer sur une période d’au moins 5 ans le rendement et les conséquences génétiques des ensemencements chez le saumon atlantique. L’objectif est d’apporter des éléments de réponse permettant d’optimiser l’efficacité des repeuplements tout en minimisant les risques sur l’intégrité écologique et génétique des populations naturelles de saumon atlantique. Le projet se déroule sur la rivière Malbaie.
Le programme d’ensemencement de saumons atlantiques dans la rivière Malbaie a débuté en 1992. La technique d’ensemencement de soutien est utilisée sur cette rivière. Cette technique consiste essentiellement à capturer des géniteurs sauvages puis à les faire se reproduire en captivité (pisciculture de Tadoussac) de manière à accroître les taux de survie des rejetons aux premiers stades de leur cycle de vie, et à introduire par la suite en milieu naturel les rejetons au stade alevin ou smolt.

Une grande partie de la rivière est accessible aux saumons pour la reproduction et ce, grâce à une passe migratoire aménagée au niveau du barrage qui est situé approximativement à 8 km de l’embouchure de la rivière.
Photos © Pierre-Alexandre Paradis




Objectifs principaux


© Anne-Marie-Gale


(1)
Quantifier les taux de survie et de croissance ainsi que le succès reproducteur de saumons ensemencés à différents stades de vie dans la Rivière Malbaie. Comparer ces paramètres à ceux observées chez les poissons sauvages;

(2)
Prédire les conséquences génétiques et démographiques de ces pratiques sur les populations sauvages.



(1) Quantifier les taux de survie et de croissance ainsi que le succès reproducteur de saumons ensemencés à différents stades de vie dans la Rivière Malbaie.


Suivi de la dévalaison dans la rivière Malbaie

Seulement environ 50% des smolts ensemencés ont quitté la rivière lors des différentes périodes de dévalaison étudiées (2001 (45 %), 2002 (65 %) et 2003 (40 %)). Ce phénomène reflète donc les faibles taux de retour des saumons issus d’ensemencements qui se situent au mieux à 0,34% pour 2003.

© Erik Auclair

Suivi de l’abondance absolue dans la rivière malbaie


Le nombre d’adultes recensés à la passe migratoire a connu une augmentation importante de 104 en 2001 à 399 en 2004, par contre le nombre de retour a considérablement chuté en 2005 pour atteindre 169. Ce déclin pourrait être le reflet de l’arrêt en 2003 des ensemencements de smolts.

Parallèlement, il y a eu, au fil des 4 années du suivi, une augmentation régulière de l’abondance de la progéniture trouvée dans la rivière.

Au début de l’étude la progéniture était surtout concentrée en aval du barrage. Par la suite, un patron d’abondance inverse a été observé et, en 2005, plus de 1800 alevins ont pu être échantillonnés en amont du barrage, représentant plus de 86% du nombre total trouvés cette année là.

Succès reproducteur relatif des géniteurs d’origine piscicole et naturels

© Dany Garant

Jusqu'ici plus de 6500 saumons (adultes : 1150 de 2001 à 2005 et leur progéniture : 5400 de 2002 à 2005) ont été caractérisés génétiquement à l’aide de 9 loci microsatellites neutres. Chacun des alevins collectés a été assigné à des parents du groupe d’adultes recensés lors de la précédente saison de reproduction à l’aide du logiciel «maison» PASOS (Parental Allocation of Singles in Open Systems).
Au cours des 4 premières années du projet, nous avons observé une augmentation de la proportion d’adultes issus d’ensemencement parmi les adultes recensés à la passe migratoire, de 34% en 2001 à 72% en 2003. Par contre, en 2005, lorsque le nombre des retours d’adultes a diminué, seulement 60% des adultes étaient d’origine piscicole.

© Anne-Marie Gale


En 2001, les adultes d’origine piscicole ne représentaient qu’environ un tiers des géniteurs recensés , mais leur contribution globale à la production d’alevins de 2002 était presque égale (48%) à celle des géniteurs naturels. Au cours des 3 années suivantes, la contribution globale des géniteurs d’origine piscicole à la production d’alevins a augmenté passant de la production de 58% de la progéniture de 2003 à 69% de celle de 2005.

© Anne-Marie Gale
Durant ces quatre années, les géniteurs issus d’ensemencement ont produit en moyenne un nombre supérieur d’alevins par adulte par rapport aux géniteurs sauvages et ce peu importe s’ils ont frayé en amont ou en aval du barrage. Ces résultats indiquent que le fitness relatif des deux groupes d’adultes présente des différences fondamentales.

Succès de réassignation parental

En amont du barrage: un haut succès d’assignation parentale a pu être obtenu pour les 4 années d’échantillonnage : au moins un des parents a pu être identifié pour en moyenne 95% des alevins. La nature infranchissable du barrage permet de présumer que toutes les mères ont été identifiées et que la progéniture assignée à seulement un parent est le résultat probable de la contribution de mâles précoces à la reproduction.

© Anne-Marie Gale

En aval du barrage: le pourcentage de parents manquants est plus élevé : en moyenne, 75% de la progéniture a pu être réassigné à au moins un parent pour chacune des 4 années. Entre 40 et 50% des parents de la progéniture capturée en aval du barrage n’ont pas pu être identifiés, ce qui indique que chaque année entre 100 et 163 géniteurs n’ont pas migré en amont de la passe migratoire et qu’ils fraient uniquement en aval. Cela suggère l’existence dans la rivière d’une population indigène située en aval du barrage qui rentrerait maintenant en compétition avec la population croissante de géniteurs d’origine piscicole.

Choix des partenaires : évolution de la proportion de géniteurs d’ensemencement impliqués dans les couples de reproducteurs
Au début de l’étude en 2001, les couples "sauvage-sauvage" représentaient plus de la moitié des couples formés alors que les individus ensemencés préféraient se reproduire en aval du barrage avec des géniteurs sauvages et ne représentaient que 20% des couples observés.
Au cours des années suivantes, parallèlement à l’augmentation du nombre de géniteurs d’ensemencement dans la population, la proportion de géniteurs d’origine piscicole dans les couples a aussi augmenté aussi bien dans les couples "ensemencé-sauvage" que "ensemencé-ensemencé".
Par contre, durant la même période, les couples "sauvage-sauvage" ont diminué passant de 50% à moins de 25% des couples observés. Leur participation à la reproduction demeure encore importante en aval, mais davantage dans les couples "sauvage-ensemencé".

© Anne-Marie Gale



(2) Prédire les conséquences génétiques et démographiques de ces pratiques sur les populations sauvages

Le but est de développer un modèle permettant de prédire l’effet à long terme des ensemencements sur l’évolution de la consanguinité des populations sauvages selon divers scénarios d’ensemencement et de conditions démographique

Dans un tel modèle prédictif, la proportion de rejetons produits par les deux groupes de parents doit être déterminé par utilisation d’un outil de réassignation parentale.

Dans un contexte où un nombre significatif de parents ne sont pas répertoriés (comme en aval du barrage de la R. Malbaie), il y a un risque de confondre un parent absent avec un des parents répertoriés, ce qui constitue évidemment une erreur d’assignation. Cette limite nous a amené à développer PASOS, un logiciel distribué gratuitement qui est destiné expressément à l’assignation parentale en système ouvert où tous les géniteurs ne sont pas connus. PASOS effectue deux types d’assignation : à l’un des parents répertoriés ou à la catégorie des non répertoriés. PASOS détecte la présence d’un parent qui n’a pas été répertorié et permet donc d’estimer le nombre de géniteurs manquants et même de reconstituer, au moins partiellement, les familles composées par les rejetons dont nous ignorons l’identité des parents (pour des iunformations sur PASOS contacter Louis Bernarchez).

Un modèle mathématique, qui incorpore plusieurs paramètres impliqués dans les procédures d’ensemencements, a été produit. Ce modèle a ensuite été implanté sous forme d’un code informatique, lequel a permis d’explorer les relations entre ces paramètres, notamment le nombre de géniteurs en nature et en pisciculture, de même que la proportion de rejetons produits par les deux groupes de parents. Il en est ressorti qu’il n’est pas inévitable que les ensemencements se traduisent par des hausses de consanguinité chez la population sauvage. Plusieurs jeux de valeurs de paramètres ont même produit des baisses de consanguinité par rapport à celle qui serait attendue en l’absence d’ensemencement.