Bases génomiques fonctionnelles de l'adaptation locale: importance pour la conservation génétique du saumon

Louis Bernatchez
,Julian Dodson
, Helga Guderley (U. Laval)
EN CONSTRUCTION
L’adaptation locale est un processus qui augmente la fréquence des traits adaptatifs dans une population. Un trait adaptatif est un attribut qui augmente la survie ou le succès reproducteur des individus qui l’expriment. L’objectif de ce projet est d’élucider les bases génétiques de traits morphologiques et physiologiques reliés au fitness chez le saumon atlantique. Cette recherche représente le premier effort visant à tester d’une manière étayée et rigoureuse les bases génétiques du concept de l’adaptation locale chez le saumon atlantique, ce qui contribuera à améliorer les mesures de conservation chez cette espèce et à mieux comprendre et prédire les changements génétiques induits par certaines manipulations de populations faites par l’homme, notamment, l’établissement de nouvelles populations par introduction dans de nouveaux habitats ou encore l’échappement de poissons d’élevage et l’hybridation avec les populations naturelles.
Objectifs spécifiques
(1)Variation latitudinale de la diversité allélique d’un gène d’immunocompétence : co-évolution hôte-pathogène et adaptation locale chez le saumon atlantique?
(2) Comparaison de profils d’expression de gènes entre une lignée domestique de saumon et sa population fondatrice.
(3) Comparaison des profils d’expression des gènes (a) entre la progéniture de saumons d’une population nouvellement formée sur la rivière Sainte-Marguerite (5 générations) et celle de saumons de sa population fondatrice; (b) entre la progéniture de mâles anadromes ou à maturité sexuelle précoce chez ces 2 populations.
(4) Comparaison des traits morphologiques et métaboliques et de profils d'expression reliés au déterminisme de la croissance,
chez ces 2 populations de saumon atlantique présentant des taux différents de maturité sexuelle précoce et quantification de l'héritabilité de ces traits ;
(5) Préférence d'habitat des tacons de saumon atlantiqueà maturité sexuelle précoce.


Quelques résultats

(1) Variation latitudinale de la diversité allélique d’un gène d’immunocompétence : co-évolution hôte-pathogène et adaptation locale chez le saumon atlantique?

Les gènes du CMH sont de bons candidats pour l’étude de l’adaptation locale au niveau moléculaire. Chez le saumon atlantique, le gène du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) classe II permet la résistance aux bactéries et aux parasites du milieu. Il est admis qu’une diversité génétique élevée à ce gène implique la résistance à un plus grand nombre de pathogènes. Dans un contexte de co-évolution, les parasites exercent une pression de sélection diversifiante sur leurs populations hôtes. Selon des études récentes, cette pression diminue avec la latitude et la température de l’eau. Le projet vise à tester l’hypothèse voulant que la diversité génétique à un gène d’immunocompétence diminue chez les populations de saumon avec la latitude en fonction de la pression de sélection décroissante des pathogènes.
La diversité génétique chez le saumon atlantique au niveau de gènes du complexe CMH classe II ainsi qu'au niveau de 13 loci microsatellites neutres a été étudiée à grande échelle au Québec.
Les populations de saumon atlantique étudiées possèdent entre 9 et 14 allèles différents au gène CMH II, ce qui représente un polymorphisme relativement élevé.

La diversité génétique des populations de saumons au gène CMH est élevée dans la plupart des rivières de la Gaspésie, alors que le Labrador et l’Ungava sont des régions où la diversité génétique est plus faible à ce gène.

Les résultats obtenus indiquent une diminution de la diversité génétique au gène CMH classe II avec la latitude (r2 = 0.28, p = 0.002) et avec la diminution de la température (r2 = 0.31, p < 0.001).

Ce patron appui l’hypothèse voulant que la diversité génétique au gène d’immunocompétence est maintenue par la pression de sélection des pathogènes qui varie avec la latitude.

 

Rôle de la sélection naturelle dans la détermination de la diversité du gène CMH chez le saumon atlantique ?

Ces résultats ont été comparés aux patrons de diversité génétique de marqueurs microsatellites neutres afin de différencier l’effet de la sélection de celui des forces évolutives neutres. Pour 9 des 13 microsatellites étudiés, la diversité allélique reste stable avec la latitude et la température tel qu’attendu, alors que la diversité génétique de 4 microsatellites varie avec ces deux facteurs.
Ces résultats indiquent donc l’influence complémentaire d’autres facteurs évolutifs. En plus de la sélection des pathogènes, l’histoire de colonisation à partir d’un refuge glaciaire au sud et les taux de dispersions différentiels selon les régions seraient les facteurs les plus plausibles pour expliquer le patron de diversité génétique observé chez les populations de saumon atlantique en Amérique du Nord.

CARON, F. et DIONNE M. 2006. La génétique ? À chaque rivière son saumon... «Les secrets de Salmo», Saumons illimités, magazine de la Fédération québécoise pour le saumon atlantique (FQSA), volume 29(1) (no 74) : 40-41.


(2) Comparaison de profils d’expression de gènes entre une lignée domestique de saumon et sa population fondatrice

L’élevage du saumon atlantique vise l’augmentation du taux de croissance et la modification d’autres caractères d’intérêt commercial. Face à l’importance des échappées de saumons d’élevage, il est important de comprendre comment la sélection artificielle a modifié le patrimoine génétique de ces saumons afin de mieux évaluer les conséquences de leur interaction avec les populations naturelles.

À l’aide de la technique des bio-puces, nous avons comparé de façon simultanée le niveau d’expression de 3 557 gènes entre la progéniture de saumons sauvages et de celle de saumons d’élevage. Les géniteurs sauvages provenaient des rivières d’origine de deux populations d’élevage, l’une canadienne (rivière St-Jean (NB)) et l’autre norvégienne (rivière Namsen).


Cinq à sept générations de sélection artificielle visant, entre autres choses, une augmentation du taux de croissance et une diminution de la proportion de madeleineaux chez le saumon atlantique, ont suffit pour entraîner des modifications moyennes de 20% du niveau d'expression d’au moins 1.7 et 1.4% des gènes exprimés dans les souches d'élevage norvégienne et canadienne respectivement, et ce, pour différents groupes de fonctions. Certains gènes montraient en outre des changements parallèles dans les souches des deux pays. Ces résultats supportent donc l’hypothèse voulant que l’hybridation éventuelle entre saumons d’élevage et sauvages puisse altérer négativement le pool génique des populations naturelles et en diminuer le fitness.
Alevins de saumons peu après l'éclosion avec, en arrière plan, l'image d'une bio-puce
Photo des alevins © Normand Bergeron (extraite du documentaire "Jusqu'à la mer"); Image de bio-puce et montage © Christian Roberge


Cette étude a été publié dans Molecular Ecology
: ROBERGE, C., S. EINUM H. GUDERLEY and L. BERNATCHEZ. 2006. Rapid parallel evolutionary changes of gene transcription profiles in farmed Atlantic salmon. Molecular Ecology. 15: 9–20.

Elle a également fait l'objet d'un article dans le magazine de la Fédération québécoise pour le saumon atlantique: ROBERGE, C. 2006. Le saumon domestique : un saumon différent ? Chronique «Les Secrets de Salmo », Saumons Illimités, magazine de la Fédération québécoise pour le saumon atlantique (FQSA), volume 29 (4) (no 76) : 44-45.



(3) Comparaison des profils d’expression des gènes (a) entre la progéniture de saumons d’une population nouvellement formée sur la rivière Sainte-Marguerite (5 générations) et celle de saumons de sa population fondatrice; (b) entre la progéniture de mâles anadromes ou à maturité sexuelle précoce chez ces 2 populations


L’installation, en 1981, d’une passe migratoire à l’emplacement d’une chute sur la branche Nord-Est de la rivière Sainte-Marguerite a rendu accessible un segment de rivière jadis inoccupé par l’espèce. Depuis, après 5 générations, une sous-population génétiquement distincte, et en voie d'isolement reproducteur, s’y est établie.

L’analyse de l’ADN de saumons provenant de sites en aval et en amont de la chute, au niveau de marqueurs génétiques neutres, a permis de mettre en évidence une structuration génétique entre les sites, et aussi entre les années d’échantillonnage.

De plus, la proportion de mâles à maturité sexuelle précoce est plus importante en amont de la chute qu’en aval.


Objectifs
: (1) identifier, pour deux années consécutives d’échantillonnage, si des différences significatives sont détectables entre les profils de transcription de la progéniture de: (a) géniteurs de l’aval et de l’amont de la passe migratoire et (b) de mâles anadromes et de mâles à maturité sexuelle précoce. (2) Estimer l’importance de l’identité du père, de la provenance des parents (amont ou aval) et de l’année d’échantillonnage.
2 séries de croisements ont été effectuées pour 2 années consécutives (pisciculture de Tadoussac) avec des géniteurs (mâles anadromes ou précoces et femelles anadromes) capturés en amont (série 1) et en aval (série 2) de la passe migratoire.

Ces croisements permettent de quantifier par analyse de variance les effets de populations, maternels et de tactiques de reproduction sur les profils d’expression. Les profils d’expression sont analysés à l'aide de bio-puces aux stades de vie embryonnaire et juvénile.
 
1) Comparaison des profils d'expression génique de la progéniture à l'émergence
Dans le but d’identifier et d’évaluer l’importance des différences de profils d’expression génique entre la progéniture de mâles anadromes ou à maturité sexuelle précoce des sous-populations de l’aval et de l’amont de la chute, les profils de transcription des gènes ont été déterminés à l’aide de bio-puces de 16006 gènes chez 90 alevins à l’émergence.

L'expression de 6484 gènes a pu être détectée. Le niveau de transcription de 562 gènes diffère entre la progéniture de géniteurs de l’aval et de l’amont de la passe migratoire; ces différences représenteraient des changements évolutifs et, peut-être, adaptatifs.

Il y a une forte héritabilité des profils de transcription pour les gènes dont le niveau de transcription diffère entre la progéniture de géniteurs de l’aval et de l’amont de la chute.

À l’émergence, il n’y pas de différence détectable entre les profils de transcription d’alevins issus de mâles anadromes et à maturité sexuelle précoce.

2) L’effet de l’identité du type de père (anadrome ou à maturité sexuelle précoce) sur les profils de transcription à un stade ultérieur de développement des alevins.
En cours d'analyse.

(4) Comparaison des traits morphologiques et métaboliques et de profils d'expression reliés au déterminisme de la croissance chez ces 2 populations de saumon atlantique présentant des taux différents de maturité sexuelle précoce et quantification de l'héritabilité de ces traits

Sur la Branche Nord-Est de la rivière Sainte-Marguerite la fréquence de mâles précoces est plus forte en amont amont qu'en aval de la passe migratoire. Cette tendance peut être partiellement une conséquence d’une héritabilité différentielle des traits qui influencent la maturation précoce, comme la taille et le taux de croissance. L’objectif général est d’élucider les événements impliqués dans l’adoption d’une tactique de reproduction, de l’éclosion des œufs jusqu’au moment de ce choix.

Les rejetons des familles issues des croisements artificiels décrits plus haut (objectif 3) seront utilisés. La progéniture engendrée par des mâles anadromes sera comparée à celle engendrée par des tacons matures, et ce depuis l’éclosion de la progéniture jusqu'à l’âge de 2 ans, jusqu'à l'adoption d'un tactique de reproduction. Ces alevins issus de géniteurs connus seront élevés dans des conditions environnementales identiques, afin de faire ressortir l’impact du déterminisme génétique dans le choix d’une tactique de reproduction.

Aspects morphologiques: au cours de ces deux années, plusieurs paramètres morphologiques associés avec le taux de croissance et la taille corporelles seront mesurés (longueur, masse, taux de croissance et teneur en protéines).
Aspects physiologiques : au cours de ces deux années, la consommation d’oxygène sera déterminée afin de définir le taux métabolique de routine. Des indicateurs enzymatiques seront aussi utilisés pour évaluer la capacité métabolique des alevins, en se focalisant sur la capacité aérobie (CCO et CS), la capacité glytolytique (LDH) et le métabolisme azoté (GDH). Enfin, l’expression de gènes reliés au déterminisme de la croissance (facteurs de transcription et gènes mitochondriaux (enzymes et protéines découplantes)) sera analysée à l'aide de bio-puces.

À partir des données, les valeurs d’héritabilité des traits mesurés seront estimées et comparées entre les populations. Dès qu'une tactique de reproduction sera adoptée, les corrélations génétiques entre tous les traits mesurés et la tactique reproductive seront calculées. L’ampleur de la différenciation génétique à chacun de ces traits sera comparée celle-ci avec l’ampleur de la différenciation entre ces populations mesurée à l’aide de marqueurs microsatellites neutres. Ceci permettra de déterminer si la différentiation observée entre ces 2 populations exposées à des environnements différents pendant 5-6 générations, au niveau de la fréquence des tacons précoces , est le résultat de processus aléatoires ou de la sélection naturelle.
Ceci nous permettra aussi d’estimer la corrélation génétique entre les traits analysés et la croissance, puis l’incidence des différentes tactiques de reproduction.

Résultats à venir


(5) Préférence d'habitat des tacons de saumon atlantiqueà maturité sexuelle précoce


Nous déterminerons l’impact du choix de l’habitat (essentiellement caractérisé par sa vitesse du courant) par les juvéniles sur leur morphologie et leur métabolisme. Pour cela, nous utiliserons des alevins sauvages âgés de 1 et 2 ans provenant de différents habitats caractéristiques. Les mêmes études physiologiques citées ci-dessus seront utilisées. En étudiant des juvéniles âgés de 1 et 2 ans dans chaque habitat, nous pourrons d’une part définir, la densité de tacons en voie de maturité, matures (précoces) et immatures (appelés à migrer vers l’océan) dans chaque habitat, et d’autre part, définir si il existe un lien entre l’habitat occupé préférentiellement, la tactique de reproduction choisie ainsi que leurs propriétés morphologiques et physiologiques.

Résultats à venir